Le McGill Subarctic Research Laboratory : contexte d’émergence et d’activité

Par Raphaël Pelletier, Université du Québec à Montréal

Dans un entretien mené dans le cadre du 26e congrès international de l’Union géographique internationale (Sydney, 1988), Kenneth Hare soulignait l’importance de deux réalisations qu’il considérait de premier plan lors de son passage au département de géographie de l’Université McGill, à savoir l’intégration de l’Arctic Meteorology Research Group avec le soutien de Harald Sverdrup et la mise sur pied du McGill Subarctic Research Laboratory (MSRL). Ces deux évènements, concomitants en cela qu’ils surviennent tous deux en 1954, consolident l’orientation scientifique du département de McGill autour de deux champs de spécialisation : la climatologie et les études arctiques et subarctiques. Il y a quelques semaines, nous avons souligné l’importance du MSRL dans la trajectoire du Centre d’études nordiques, sous les auspices de l’Institut de géographie lavallois et de Louis-Edmond Hamelin. Revenir sur l’émergence du MSRL nous paraît pertinent dans la mesure où elle permet de mieux comprendre l’ouverture scientifique des régions arctiques et subarctiques et comment le tout a d’abord dû s’effectuer en partenariat avec les autorités publiques.

À sa création en 1954, le MSRL bénéficie du croisement de conjonctures inédites, révélant ainsi les particularités d’un contexte local, mais également géopolitique. Le site en soi est déjà bien connu à la fois des communautés innus et naskapis qui pratiquent le territoire et des géologues qui, d’Albert Peter Low (1895) à Joseph Arlington Retty (1937), ont contribué à faire connaître le potentiel minier de la région. Rapidement, la Hollinger North Shore Exploration Company obtient des concessions et entreprend, à partir de 1950, la construction d’un chemin de fer liant la région de Knob Lake à Sept-Îles (figure 1). Suivant l’accessibilité accrue de la région à partir de 1950, un établissement permanent (Schefferville) est mis sur pied en 1953 avec le concours du gouvernement de Maurice Duplessis (Pierre-Deschênes, 2009).

 

Figure 1. Situation des mines de fer de Schefferville.

Source : Journaux et Taillefer, 1957 : 42

 

Les géographes de l’Université McGill, qui travaillaient depuis 1945 sur des problématiques arctiques et subarctiques, se saisissent de cette fenêtre d’opportunités et établissent des accords avec l’Iron Ore Company of Canada (IOCC) afin d’assurer la création d’un poste de recherche permanent dans la région. Sur le plan financier et logistique, un tel projet reçoit l’appui d’autres groupes d’acteurs, comme la Tower Construction Company et le McGill Board of Governors (Drummond, 1967). Après la construction des premiers bâtiments du MRSL en août 1954 (figure 2), Cyril James, alors Principal de l’Université McGill, affirmait que

[l]’entreprise de pionnier [sic] de l’Iron Ore Company of Canada a créé une magnifique opportunité pour les recherches universitaires dans cette partie négligée du Canada septentrional. Le travail, au début, sera surtout d’ordre météorologique, le laboratoire devant servir comme station météorologique de première classe. Plus tard, cependant, les autorités de l’Université espèrent diversifier le travail et équiper le laboratoire afin qu’il serve de base de recherches dans tous les domaines de la science (cité dans Langlois, 1956 : 54).

Comme le souligne ainsi James, le « labo » sert alors essentiellement de station météorologique. En plus de correspondre aux intérêts de recherche de ses membres fondateurs (Derbyshire, 1961 ; Drummond, Ives et Mattox, 1962), il s’agissait-là d’une des contreparties au soutien financier considérable de l’IOCC. En effet, alors que la Holliger Ungava Transport Company, une compagnie subsidiaire de l’IOCC, assurait la compilation de données météorologiques depuis 1948, le MRSL en prend l’entière responsabilité à partir du 1er octobre 1954 (Drummond, 1967). Les installations sont considérablement améliorées avec la collaboration du ministère des Transports. En 1955, ce dernier assure notamment l’acquisition d’un appareil de téléphoto permettant la transmission rapide de « données climatologiques cartographiées et analysées » (Langlois, 1956 : 54) vers les aéroports de Dorval et de Moncton. Cependant, comme le rappelle Peter Adams (2014), le MSRL perd le contrat lié à l’enregistrement de données météorologiques en 1971 au profit de l’aéroport de Schefferville. S’ensuit le développement d’autres domaines de recherche (par ex. l’étude du pergélisol) pouvant à terme assurer le maintien des installations et la tenue de recherches de terrain.

 

 

Figure 2. Le bâtiment principal du McGill Subarctic Research Laboratory, situé aux abords de Knob lake, près de Schefferville, Québec.

Source : de gauche à droite, Drummond, 1967: 4 et Langlois, 1956: 53.

 

Sur le plan géopolitique, l’établissement d’un poste de recherche permanent près de Knob Lake coïncide avec le déploiement conséquent de l’État canadien dans les régions arctiques et subarctiques. L’expérience menée par les géographes de l’Université McGill s’inscrit ainsi de plain-pied dans un contexte plus général dont les ramifications sont présentes à l’échelle du pays (Hamelin, 1965). Avec la construction des lignes de défense DEW et Mid-Canada, le MSRL permettait alors la mise sur pied de ponts aériens entre le Canada méridional et le Haut-Arctique. À sa création en 1954, le labo de Knob Lake est alors « le poste le plus septentrional pouvant communiquer constamment avec les autres postes de la province de Québec, tout en livrant les informations de dernière heure aux nombreux avions qui survolaient la région » (Langlois, 1956 : 54). Ayant sous-estimé l’ampleur d’un tel travail, les chercheurs du MSRL se résolurent à créer trois autres postes permanent, assurant ainsi la pérennité du centre à titre de relais arctique et institution de recherche (Langlois, 1956 ; Drummond, 1967 ; Adams, 2014).

Un tel survol du contexte ayant présidé à l’émergence du MSRL ne saurait être complet sans effectuer un récapitulatif, aussi bref soit-il, de ses orientations scientifiques et académiques initiales. Sur le plan de la recherche, le « labo » se constitue dès 1954 en centre de formation et de production scientifique important, malgré l’ampleur des aspects plus « politiques » associés à son fonctionnement. Cela passe notamment par la publication (par ex. McGill Subarctic Research Papers, bibliographies exhaustives, rapports annuels et contributions au Climatological Bulletin) et par l’intégration des étudiants des cycles supérieurs au laboratoire. Ceux-ci y jouent un rôle important et, inversement, les installations de Knob Lake leur assurent un accès privilégié à des données météorologiques de qualité combiné à la proximité d’un terrain d’étude inédit (Adams, 2014).

En définitive, l’orientation du centre permet en quelque sorte la réalisation de l’idéal disciplinaire de Kenneth Hare, qui voyait en la méso- et la micro- climatologie, l’une des voies de développement les plus prometteuses en géographie (Wallace, 2013). Durant les années 1940 et 1950, un tel changement d’échelle trouve également un écho important dans les universités britanniques et américaines, où les géographes s’intéressant aux questions climatiques empruntent de plus en plus à la météorologie synoptique, contribuant ainsi à un passage d’une géographie climatique descriptive à une climatologie dynamique (Johnston et Gregory, 1984). De plus, la localisation prisée du centre aura favorisé l’établissement de réseaux scientifiques de premier plan. On peut alors penser à l’intégration de la Dartmouth Ionosphere Research Station au site de Knob Lake (Langlois, 1954) ou encore aux différents séjours de recherche qu’y ont menés de chercheurs du Commonwealth, des États-Unis et des pays scandinaves (Adams, 2014).

Loin de constituer une entité rivale au Centre d’études nordiques, le McGill Subarctic Research Laboratory répond aux impératifs de la recherche sur l’Arctique (qui connaît une effervescence certaine à partir des années 1950) en contribuant activement à son développement et à sa normalisation dans le milieu universitaire d’après-guerre. À terme, c’est un champ des possibles qui s’ouvrent pour les chercheurs universitaires à partir de 1954.

 

Références

Adams, Peter (2014) “Sixty Years of Polar Research and Teaching: The McGill Subarctic Research Station”, Arctic, 67 (1) : 124-131.

Derbyshire, Edward (1961) “Knob Lake: A Field Research Centre”, Geographical Journal, 127 (3) : 340-343.

Drummond, R. N. (1967) “The Origins and Purpose of the McGill Sub-Arctic Research Laboratory”, The Climatological Bulletin, 1 (2) : 1-7.

Drummond, R. N. et Yves, J. D. et Mattox W. G. (1962) “Knob Lake Field Research Center”, Geographical Journal, 128 (1) : 125-126.

Hamelin, Louis-Edmond (1965) « L’Institut Arctique de l’Amérique du Nord », Cahiers de géographie de Québec, 9 (18) : 260-267.

Johnston, Ron J. et Gregory, Stan (1984) “United Kingdom” in R. Johnston et P. Claval (dir.) Geography Since the Second World War. London, Croom Helm, 107-131.

Journaux, André et Taillefer, François (1957) « Les mines de fer de Schefferville », Cahiers de géographie de Québec, 2 (3) : 37-61.

Langlois, Claude (1956) « Le McGill Sub-Arctic Research Laboratory », Revue canadienne de géographie, 10 (1) : 53-55

Pierre-Deschênes, Claudine (2009) « Schefferville », L’Encyclopédie canadienne [en ligne].

Wallace, Matthew (2013) « Gouverner le climat : les sciences de l’atmosphère au Canada, 1945-1975, Thèse de doctorat en histoire », Thèse de doctorat, Université du Québec à Montréal.

 

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